En ce moment j’avance mon boulot pour le prochain numéro d’ONAPRATUT .
Alors je me suis dit que j’allais vous ressortir un vieux truc des cartons, qui date de l’été 2006, et que j’avais fait pour le précédent numéro.
Une fois n’est pas coutume, c’est un texte…
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VIGILANCE
Le sweat brun. Avec des rayures. Ce gars a l’air louche avec ses lunettes triple foyer qui ne laissent paraître pas grand-chose de ses intentions. Il met la main dans sa poche. Il… Il répond à son téléphone portable. Droite. Gauche. Droite. L’oreillette grésille. Les instructions sont claires et précises, comme d’habitude ; je connais mon job.
Le Président semble serein aujourd’hui. On est une bonne équipe ; depuis tout ce temps, il peut avoir confiance en nous ; on est des pros.
Le grand type en jean crade. L’air antipathique au possible. C’est bon, Gégé l’a en visuel, je prend l’aile gauche ; y’a de plus en plus de monde derrière les barrières ; la foule est compacte et floue.
Un gamin avec un ballon. Là un jeune au look bohémien. Un étudiant en art. J’en parierai mon déjeuner, il a un carton à dessins avec un autocollant pseudo-révolutionnaire. Un anarchiste. Méfions-nous. C’est bon, c’est réglé, il est derrière le cordon de nos camarades de la police. Un papy ratatiné me sourit. Je suis con ; il sourit au Président, ça va sans dire. Faut dire que la politique de cet enfoiré doit bien ratisser auprès du troisième âge. Tiens, je me demande d’ailleurs ce qu’en penserait maman si elle était toujours de ce monde. Deux ans déjà. Ca passe. Focus. Focus. Je dois me concentrer. Quelle chaleur.
Le type en salopette. Un prolo. Sûrement un pauvre type qui croyait aux fadaises de mon client avec enthousiasme et naïveté. Il aurait bien des raisons d’être rancunier. Surveillons-le. On ne pourrait pas le blâmer le bougre, le Président a ruiné la vie de pas mal de gens comme lui. Une femme en tailleur gris. Avocate ? Un bonhomme au visage buriné, avec une grosse moustache. Une famille nombreuse. Un chien énorme et poilu qui semble crever de chaud. Un flic consciencieux appréhendant quelques jeunes dont les visages lui semblent trop bronzés.
Une femme en débardeur.
Un fin débardeur bleu ciel laissant plus que deviner ses formes parfaites. Un ange. Inoffensive. Elle est… Elle est vraiment belle. Elle me rappelle Aurélia. On était si bien ensemble, ça aurait pu durer la vie entière et même au-delà, si il y a un au-delà.
Maman, Aurélia… Ma vie est foutrement merdique depuis 2 ans. Il doit y avoir des conjonctures insondables dans la vie. On dit que quand on touche le fond, c’est plus facile de donner une impulsion du pied et de revenir à la surface. Connerie. C’est comme cet abruti – c’était quoi son nom déjà ? – qu’arrêtait pas de me sermonner en remuant sa bouteille de soda vide à la soirée chez…
Ah ça pique. Saloperie de guêpe ! En plein été, par cette chaleur… Je saigne ? Merde. Je suis touché. Un ricochet ? Une balle directe ? Ca ne me fait pas plus mal que ça, tiens… Mon torse est devenu tout rouge en quelque secondes…Une si belle chemise de chez Raza, que m’avait offerte Aurélia, un jour de plein amour.
Je savais que ça arriverait ; je ne savais pas que ça serait comme ça….
Qui a pu ? Le sweat rayé ? Le type en salopette de chantier ? Gégé me regarde. Gégé ? Merde, c’est lui qui a tiré. Un si bon garde du corps ; celui qui m’a tout appris. Les collègues l’ont maîtrisé. Quand j’irai mieux, faudra que je lui demande ce qu’il lui est passé par le ciboulot à mon Gégé. C’est sa femme qui va être furax. Je vais me couch…m’écrouler… Faut que je…reprenne mon souffle. Un moment. Bitume.
Je suis par terre, mon oeil gauche est rempli de sang. Du droit je vois une montagne de muscles, deux ou trois collègues – y’a Bernard et Jojo – ils sont vifs ces cons, ils ont recouvert le Président, on ne le voit même plus en dessous. Tout ce qu’on voit c’est une mare de sang. Il est touché aussi, le con. Bien la peine de recruter les meilleurs gars du pays, si c’est pour finir dans un ratage total. Bérézina. On dirait un pudding géant aux framboises, ou une forêt-noire, j’y connais rien en pâtisserie. C’est marrant. Demain, ça fera toutes les unes ; on ne parlera que de ça des PMU aux salons de thé. Le sang du président se mêle au mien sur l’asphalte brûlant. Tant d’années de différence de classes sociales réduites à néant par ce mélange dégueulasse sur le sol noir. Je crois que je n’ai pas donné à manger à mon chien. Pauvre Rufus, il doit crever de chaud par cette…froid. J’ai froid. J’entends Rufus qui hurle derrière la porte. Je me demande si les Vaillants gagneront le championnat cette année. Ca sent le caramel, maman doit préparer sa recette de crème pour le goûter. Aurélia…